Dans la ferme du Massachusetts dans laquelle j'ai grandi, aux milieu des années 30, l'imagination n'avait pas grand place au milieu des disettes et des rapines commerciales organisées par les firmes agricoles locales. Non sérieux... j'ai pas grandi au Massachusetts, mais quand même, l'imagination c'était pas la valeur clef dans mon modèle éducatif. En loisir, après les devoirs que je faisais jamais, peut-être... mais en tant qu'activité centrale... heu... bof. Pas trop. Etrangement, ça m'a forgé un imaginaire. Un imaginaire pétri de rationalité. Un imaginaire avec des lignes droites. Avec de la verticalité. Des devoirs. Un imaginaire assez figé en fait. En 2014 j'ai mis un coup de tracteur dans les fondations de cet édifice congestionné, crise de la quarantaine, rêve de photographie, divorce, cheveux long, salade, tomate, oignons, toussa toussa...

Aujourd'hui, ça a changé. Mon imaginaire est plus fluide. J'ai du temps. Je discute avec mes chaussettes. Mes chaussettes existent. J'observe le dialogue. Après tout si j'ai besoin de chaussettes c'est parce qu'elles me parlent à un endroit. Elles me murmurent leur existence. Si c'était pas le cas je suis sûr que je démerderai sans. Mais elles sont là. Elles partagent mon expérience et elles la modifient un peu. Je fais en sortes qu'elles soient propres. J'en achète de nouvelles quand y'a des trous. Je me dit que si un anthropologue extra terrestre venait nous étudier, il trouverai ça fun que je change de chaussettes juste parce qu'il y a un trou. Sûr qu'il ferai un dessin sur son notepad holographique. Je serai curieux de savoir le nombre de personnes autour de moi qui engueulent leur ordi quand il démarre pas. Perso je suis mon GPS comme si c'était dieu en personne qui m'indiquait la route. Je suis indigné quand il y a un bug... Des fois je rentre chez moi et ma guitare me parle "ouech, combien de temps encore tu va me laisser prendre la poussière, lazy ass fucker ??" En vrai, mon appart, c'est une chorale et mon imaginaire, c'est comme une lumière noire qui viendrai souligner l'existence fluorescente de tous ces êtres qui peuplent mon quotidien. Le fait de célébrer régulièrement cet espèce de carnaval psychologique palpitant, ça me permet de calibrer la fête. De me familiariser avec toutes ces créatures évanescentes, c'est aussi l'occasion de savoir où elles se cachent, quelles sont leur habitudes, leurs coutumes. De quoi elles se nourrissent. Mon imagination, c'est le fluide qui permet de mettre du mouvement et de la lumière dans tout ce dawa et ça me permet, quand j'en ai besoin, de remonter à la source de mon expérience. D'observer cette fête, de célébrer le mouvement, ça me permet de mieux sentir, ce qui dans tout ça, dans l'expérience, est immuable.
